hors critères

J'ai internet de temps en temps, pas toujours de façon stable ( la farce du wifi public qui fonctionne uniquement quand Saturne est de bon poil et que Pluton n'est pas en RTT). J'ai un peu de mal à répondre aux mails et à venir donner des nouvelles, du coup. Lorsque j'arrive à choper le wifi ou à aller chez quelqu'un qui a le net, je privilégie les trucs du genre Pôle-emploi et autres administrations.

Donc, les news, puisque ce soir, j'ai le net...

Nous avons été expulsés le 26 octobre. Nous sommes donc officiellement sans domicile fixe. Les services sociaux n'ont aucune solution à nous proposer, le Maire est aux abonnés absents, les bailleurs sociaux font ce qu'ils font habituellement, à savoir ne pas avoir d'appart disponible parce que "Ma bonne dame, y'a des gens qui attendent depuis 5 ou 6 ans"... Les associations sont débordées parce que nous venons de battre un record d'expulsion... Et ce que nous entendons depuis tout ce temps c'est "vous êtes hors critères"....

C'est quoi ça "hors critères" ?

C'est quand vous n'entrez pas dans les cases... La première fois que je suis allée voir l'assistante sociale, au tout début de nos ennuis, j'étais hors critère pour recevoir une aide du département ou de la caf. Ensuite, j'étais hors critère pour un logement social en urgence, et même pour un hébergement temporaire après l'expulsion. Ça peut sembler étonnant, mais les budgets étant revus à la baisse, les critères aussi. La priorité est donc donnée aux femmes seules avec enfant(s) ou aux familles qui ont un enfant de moins de 3 ans. Mes enfants ont 11 et 14 ans, l'administration considère donc qu'ils ne sont pas prioritaires pour avoir un logement.

Je suis hors critères pour des tas d'autres choses, les bourses pour mes études, certains contrats aidés...etc J'entends des tas de gens, ces temps-ci, me dire qu'ils ont des tas d'aides diverses et variées, et je ne sais pas comment ils se débrouillent pour entrer dans les cases.

Jeudi, au Pôle-emploi, j'ai expliqué à ma nouvelle conseillère (j'ai encore changé de conseillère. Celle-ci ne fait pas de réunion toute seule, c'est cool) que j'en avais un peu ras la casquette que mes candidatures soient rejetées par mon conseiller (donc elle) avant même d'être envoyées à l'employeur. Là aussi, on a parlé de critères. On a alors parlé du permis, ce fichu petit truc qui me pénalise parce qu'il est quasiment exigé sur toutes les offres maintenant. Elle m'a donné un dossier pour voir si Pôle-emploi peut m'aider à financer mon permis, en me précisant bien que j'avais peu de chance d'être dans les critères. Pinaise, j'en peux plus de ces critères... J'ai hésité à prendre le dossier. Je sais que c'est idiot mais dans ma tête, ces temps-ci, il y a peu de place pour ce qui n'est ni un logement, ni un boulot. Le permis, ça me semblait hors contexte pour le coup. Je me dis que le temps que je passe le permis, ça va prendre des mois. Ce n'est pas ça qui va m'aider à trouver un job, j'espère bien en avoir un avant d'avoir le permis. Mais je me connais... Si je ne fais pas cette demande alors qu'on me le propose, je vais finir par m'en vouloir à un moment ou un autre. Et j'ai déjà bien assez de raisons pour culpabiliser. Ce n'est pas la peine que j'en rajoute une couche.

Pour le logement, nous ne sommes pas à la rue. Un ami de ma soeur était en déplacement professionnel quand nous avons été expulsés. Il a tout de suite demandé à sa mère de nous passer ses clés pour nous prêter son appart. Il est revenu hier. Depuis, nous sommes chez un autre ami, pour environ 3 semaines. Après on ne sait pas. On tape à toutes les portes, mais aucune ne s'ouvre.

J'essaie d'expliquer à mes enfants ce qu'ils ont un peu de mal à concevoir du haut de leur jeune âge. Pourquoi trouve-t-on des apparts en urgence pour les réfugiés et pas pour nous ? J'explique, la guerre, les bombardements, ces gens qui fuient leur pays... J'essaie de répondre aussi objectivement que possible. Mais, même s'ils sont sensibles à la situation de ces personnes, ils se sentent oubliés de nos administrations.

Si vous saviez ce que j'entends dans les associations, ce que l'assistante sociale me dit sur la situation actuelle dans notre département et ce que je vois quasiment chaque jour... C'est affolant. Les services sociaux ne sont plus qu'une jolie vitrine, sans budget, sans réponse et sans solution. Les assistantes sociales craquent complètement prises entre des familles qu'elles ne peuvent pas aider et des administrations qui les étouffent en procédures et autres paperasseries. Tout le monde joue la montre, surtout faire gaffe aux délais pour pouvoir passer le dossier dans un autre service. Des délais pour rendre des papiers, mais aussi pour avoir le droit de faire un dossier. Il ne faut pas le faire trop tôt, sinon on nous le renvoie, le dossier est "hors délai". Certaines demandes ne peuvent pas être faites si une autre est en cours. C'est mal, très mal, de demander de l'aide à plusieurs endroits. Il faut attendre que le premier réponde "non" pour pouvoir demander au second. Attention, il faut bien retenir les dates, s'il n'ont pas répondu dans les deux mois, c'est un refus tacite et il faut enclencher une autre procédure... Voilà ce que jentends, des choses qui me semblent iréelles, abstraites, débiles aussi parfois. On me parle en mois... Est-ce qu'ils se rendent compte de l'absurdité de ce qu'ils disent ? Deux mois !! Et ils ne sont même pas obligés de répondre. Deux mois avant d'obtenir le droit (ou pas) d'être prioritaire pour un logement ; droit qui ouvre un nouveau délai : les bailleurs sociaux ont 6 mois pour nous proposer un logement à partir du moment où nous sommes reconnus prioritaires. On me parle donc, à condition d'être reconnus prioritaires, d'une durée pouvant aller jusqu"à 8 mois en tout. Mais comme la préfecture a déjà décidé une première fois que nous n'étions pas prioritaires et que, selon certaines associations, ils aiment moyennement qu'on leur demande de revoir leur copie (ce qu'on vient de faire)....

Et tout ça parce que les critères sont de plus en plus serrés. Il aurait suffit de nous aider dès le départ, avant que notre situation ne vire au n'importe quoi, et on n'aurait même pas à faire tous ces dossiers. Mais parce que le zhumain touchait 38 euros de trop, on était hors critères. 38 euros de moins et on avait le droit à une aide pour payer notre loyer le temps que notre situation se stabilise. Mais voilà, on était hors critère. Alors, quand le zhumain a commencé à enchainer les missions d'intérim, on avait déjà dépasser le point de non retour.

Bref, nous voilà donc devenus nomades dans notre grande ville. Des nomades qui essaient comme ils peuvent de maintenir un semblant de vie quotidienne normale pour les enfants. Autant vous dire que c'est difficile quand les fringues sont dans une valise, les affaires scolaires dans une autre et tout le reste dans des cartons éparpillés dans les caves et garages des amis. L'assistante sociale du collège, la cpe, la directrice ne cessent de  m'appeler pour savoir où on en est. Et à chaque fois je n'ai rien de plus à leur dire. Pour l'instant j'essaie juste de gérer chaque jour, voire même chaque heure. J'essaie d'empêcher GrandTroll d'étrangler son frère (les joies de vivre à 4 dans un F2 avec un PtiTroll qui ne cesse jamais de bouger et parler), j'essaie de faire de l'anglais avec l'un pendant que le second fais des maths, dans la même pièce, tout en répondant aux appels des différents services qui n'ont rien à me proposer mais veulent quand même un document supplémentaire... Et j'essaie surtout de ne pas devenir folle parce que je ne suis pas fabriquée pour supporter les espaces supeuplés (au dessus de 2 personnes dans une cuisine, c'est surpeuplé, pour moi), ni le bruit en permanence, ni le mouvement en continu. Maintenant, on appelle ça "Hypersensible". Quand j'étais gamine on me disait juste que j'étais la sauvageonne du coin. Mais je développerai ça un autre jour. Là, il faut aller dormir parce que j'ai encore de la paperasse à faire demain...

Comments

[Nadège]

Je suis sans voix. Courage. Et merci d'avoir donné des nouvelles !

[Une pestouille]

Merci ;)

[Julien]

Ohhh... :/

Pestouille je ne peux rien te dire de plus que je pense fort à toi et que ça me désole. Je sais, ça ne sert pas à grand chose, disons que des gens pensent fort à toi...

Des fois je me demande si en contactant un journaliste pour qu'il fasse un papier bien saignant sur la folie de l'administration, mettant plus ou moins directement en cause les services administratifs de ta ville (le coup des 38 €, arf mais c'est d'un ridicule ! C'est comme les indemnités de résidence dans la fonction publique pour soi-disant tenir compte du prix du logement variant d'une ville à l'autre : à Paris cette indemnité de résidence est de... 50 €... C'est sûr, le prix du logement à Paris n'est que 50 € plus cher qu'ailleurs !), ça ne ferait pas bouger les choses en alertant l'opinion sur ta situation pour faire pression sur la mairie...

Et une des deux écoles des trolls, ils n'auraient pas par hasard un ou deux logements de fonction non utilisés qu'ils pourraient prêter en urgence ?

Bon courage et gros bisous, je croise tous mes doigts pour que ça s'arrange dans les plus brefs délais !!

[Une pestouille]

Merci. Vos pensées à Nadège et toi me touchent beaucoup.
Il y a eu un article sur notre situation dans le journal de la région et rance 3 a fait un reportage aussi. Ma soeur avait contacté des journalistes le jour de l'expulsion. Malheureusement, ça n'a rien fait bouger. Les administrations se cachent derrière tous les prétextes imaginables ; manque de logement, de budget, de personnel...
Le coup des indemnités de résidence, c'est comme tout le reste. On se demande qui a fait le calcul et comment parce que rien ne semble cohérent. Parfois je me demande s'ils ne sortent pas des montants au pif.
Pour le collège des Trolls, il n'y a pas de logement, non. Ils me proposent une aide pour la cantine et les transports mais les Trolls font le trajet à pieds et ne sont pas inscrits à la cantine.
Merci de croiser les doigts :)